Les crises scolaires
Des conseils scolaires disent NON
Bien que la loi provinciale, adoptée en 1968, autorise les conseils scolaires publics à ouvrir des écoles ou des modules scolaires de langue française au secondaire, ceux-ci ne s’en prévalent pas malgré les demandes insistantes des parents francophones.
Rappelons qu’en vertu de la nouvelle loi, les conseils scolaires sont maintenant dotés de comités consultatifs de langue française; toutefois, ceux-ci n’ont qu’un pouvoir de recommandation auprès des conseils scolaires majoritairement anglophones.
Si dans les régions d’Ottawa, de Sudbury et de Toronto des ententes mènent rapidement à l’ouverture d’écoles de langue française (certaines dès l’automne 1969), il en va tout autrement à Sturgeon Falls, Elliot Lake, Windsor, Cornwall et Penetanguishene. À ces endroits, le refus des conseils scolaires publics de créer des écoles ou modules de langue française déclenche une série de conflits dont certains dureront plus de 10 ans
Le conflit de Cornwall
À ce titre, les événements survenus à Cornwall prennent une forme emblématique. Au printemps 1973, après le refus du conseil scolaire de créer une école secondaire de langue française, des élèves manifestent dans la rue avec l’appui d’enseignantes et d’enseignants. Deux d’entre eux sont congédiés et trois autres sont blâmés par le conseil scolaire pour avoir pris parti pour les revendications des élèves.
L’AEFO mène une campagne de presse, organise des rencontres avec les membres du gouvernement et établit un front commun avec diverses organisations du réseau associatif franco-ontarien pour exonérer les enseignantes et enseignants du blâme qu’ils ont subi. L’AEFO va même jusqu’en arbitrage pour obtenir que les deux enseignants soient réembauchés. Bien que la bataille pour réintégrer les enseignantes et les enseignants dans leur poste soit perdue devant les tribunaux, les francophones de Cornwall obtiennent leur école après un long conflit fort médiatisé.
L’École de la résistance
Un affrontement célèbre est celui de Penetanguishene, dit celui de l’« École de la résistance ». Le conseil scolaire public de Simcoe refuse systématiquement depuis le milieu des années 1970 d’établir une école secondaire de langue française malgré les demandes répétées de la communauté.
À l’été 1979, l’AEFO fait partie du front commun d’organismes franco-ontariens qui, avec la communauté, met sur pied une école parallèle illégale en guise de protestation. L’école de La Huronie est aménagée dans un bureau de poste désaffecté. Le président de l’AEFO de l’époque, Hervé Casault, en prend la direction pédagogique aux côtés de Jeannine Séguin, ancienne présidente de l’AEFO qui dirige alors l’ACFO. L'AEFO s’engage à fond dans la lutte, fournissant des enseignantes et des enseignants bénévoles et demandant à ses membres de contribuer une heure de leur salaire pour financer l'école. La campagne de souscription « 10 ¢ pour Penetang » est lancée dans les écoles franco-ontariennes.
La communauté franco-ontarienne se mobilise pour appuyer la lutte pour une école secondaire de langue française.
La cause de Penetanguishene reçoit l’appui de personnalités importantes, dont le commissaire aux langues officielles, Maxwell Yalden, et le chef du Parti libéral du Canada, à ce moment dans l’opposition, Pierre Elliott Trudeau.
Néanmoins, la ministre de l’Éducation, la Dre Bette Stephenson, se range derrière le conseil scolaire prétextant que le conflit relève d’un cas de gestion interne. La crise scolaire revêt bientôt un caractère national, attirant une large couverture médiatique tant dans la presse francophone qu’anglophone, alors qu’au même moment la campagne référendaire sur la souveraineté-association bat son plein au Québec. Souhaitant exercer un rôle de leader de l’unité canadienne, le premier ministre Bill Davis s’engage à ce que le gouvernement subventionne directement l’école secondaire française, mais il tarde à concrétiser sa promesse.
Finalement, la Cour supérieure de l'Ontario rend une décision favorable aux francophones de Penetanguishene en 1982 qui contraint le conseil scolaire de Simcoe à construire une école de langue française distincte. L’école secondaire Le Caron ouvre ses portes en 1982.
Ainsi, l’AEFO a joué un rôle déterminant dans ces luttes à l’opposition des conseils scolaires publics. Les crises scolaires de Cornwall et de Penetanguishene, comme celles de Sturgeon Falls, Windsor, Elliot Lake, et d’autres ont pris valeur de symbole pour l’AEFO, mais aussi pour l’ensemble de la population franco-ontarienne.
Une lutte en parallèle
La route pour le parachèvement d’un enseignement secondaire de langue française est parsemée d’embûches en dépit d’une loi qui semblait parer, à première vue, à toutes les difficultés. Pendant que plusieurs crises scolaires agitent la province, la question du statut de l’enseignement du français dans les écoles secondaires publiques de langue française se pose avec acuité. Contrairement à l’anglais, le français n’est pas une matière obligatoire; certains élèves choisissent donc de ne pas suivre de cours de français. Le problème devient criant dans les milieux mixtes et hétérogènes sur le plan linguistique.
L’AEFO mène donc une bataille de tous les instants dans les années 1970 pour réaffirmer le caractère français des écoles ou modules de langue française. Elle réclame notamment que le français soit une matière obligatoire dans le programme d’études et tente de faire reconnaître le principe de l’homogénéité linguistique et culturelle des écoles secondaires publiques de langue française.
Il faudra attendre 1988 pour la création des premiers conseils scolaires homogènes de langue française à Ottawa et à Toronto. Et ce n’est qu’en 1997 que le gouvernement créera les 12 conseils scolaires de langue française qui gèrent maintenant les écoles françaises partout dans la province. Néanmoins, les nombreuses études et mémoires produits par l’AEFO à partir des années 1970 pour réclamer la création d’un réseau d’écoles francophones complet et autonome préparent le débat sur la gouvernance scolaire.