Les années noires

Une période d’austérité

caricature 15 octobre 1982Au cours des années 1960 et 1970, les syndicats enseignants, dont l’AEFO, deviennent une force politique sur laquelle le gouvernement doit compter pour instaurer ses réformes éducatives. L’obtention du droit de grève des enseignantes et des enseignants, en 1975, reflète la montée de leur influence et de leur participation aux débats publics. Pendant cette période, les enseignantes et les enseignants enregistrent des gains salariaux importants, ainsi qu’une amélioration de leurs conditions de travail.

Toutefois, les deux décennies suivantes, soit les années 1980 et 1990, voient les principes de la justice et de la sécurité sociale remis en cause par certains gouvernements qui cherchent à rétablir la prospérité économique menacée, selon eux, par des dépenses publiques trop importantes. De nombreux gouvernements sabrent dans les programmes sociaux pour réduire la taille de l’État, rétablir l’équilibre budgétaire et diminuer les impôts.

À titre d’exemple, la Loi sur les restrictions salariales, adoptée en 1982, par le gouvernement conservateur de Bill Davis, cherche à limiter le droit de négociation, le droit au respect et à l’application intégrale des conventions collectives, le droit de grève et le droit à l’arbitrage volontaire. Elle impose aussi un plafond aux augmentations salariales.

protestation membres aefo decembre 1982Cette loi et d’autres du même genre soulèvent l’opposition des enseignantes et des enseignants qui partent en guerre contre le gouvernement et intentent des poursuites devant les tribunaux. De leur côté, les conseils scolaires, inspirés par ces mesures, tentent de renégocier les conventions collectives à la baisse citant le marasme économique, ce qui déclenche une série de grèves dans le monde enseignant.

  • Un texte publié dans l’En bref du 23 septembre 1982 en dit long sur l’opposition de l’AEFO à la Loi sur les restrictions salariales adoptée en 1982 par le gouvernement de Bill Davis.
  • Un tableau publié dans l’En bref du 23 septembre 1982 compare l’augmentation du coût de la vie à l’augmentation des salaires du personnel enseignant.
  • Le mot du président publié dans l’En bref du 10 décembre 1983 dénonce l’ingérence du gouvernement dans les négociations du personnel enseignant.

Le Contrat social

En avril 1993, le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, aux prises avec une récession et un déficit de 12 milliards de dollars, invite les syndicats et les employeurs à négocier une réduction de 2 milliards de dollars des coûts du secteur public. La réduction visée dans le secteur de l’éducation est de 520 millions de dollars.

Les négociations achoppent et les syndicats quittent la table le 3 juin 1993. Un mois plus tard, l’Assemblée législative adopte la Loi de 1993 sur le contrat social. Cette loi a pour objectif de renégocier les conventions collectives des employées et employés du secteur public. Elle impose un gel des salaires et, à défaut d’ententes négociées, impose plusieurs autres compressions dont 12 jours de travail sans salaire, rapidement surnommées les « Journées Rae » (Rae Days).

Dans l’En bref du 27 août 1993, l’AEFO dénonce les mesures du Contrat social imposé aux enseignantes et enseignants.

Les associations enseignantes retournent donc à la table de négociation avec le gouvernement. Elles réussissent à réduire le nombre de « Journées Rae » et à éviter des mises à pied massives.

Toutefois, le Contrat social laisse beaucoup d’amertume chez les plus jeunes enseignantes et enseignants dont bon nombre perdent pour deux ans les augmentations statutaires liées à l’expérience.

Le plus dur reste toutefois à venir.

La Révolution du bon sens

Élu en juin 1995 en promettant la « Révolution du bon sens », le gouvernement conservateur de Mike Harris frappe dur et très rapidement. Il coupe dans les services sociaux, sabre dans la santé, abroge de nombreuses lois progressistes notamment dans le domaine du travail, fusionne des municipalités et leur dévolue les coûts de nombreux programmes tels que le logement social et l’aide aux assistés sociaux. Des manifestations monstres, les « Days of Action » réunissant plusieurs secteurs de la société civile, ont lieu dans plusieurs villes de la province dès 1996. L’AEFO y participe, notamment le 26 octobre 1996, à Toronto.

Les membres de l’AEFO manifestent avec ceux d’autres syndicats et organismes contre les politiques du gouvernement Harris lors d’une « Journée d’action » tenue à North Bay, le 10 octobre 1997.

À partir de 1996, le gouvernement impose des compressions budgétaires draconiennes de deux milliards de dollars au secteur de l’éducation. Ces compressions touchent durement plusieurs programmes tels que l’enfance en difficulté, les arts, l’éducation physique, et bien d’autres.

On augmente la taille des classes, on congédie du personnel de soutien, on ferme les bibliothèques scolaires, on réduit l’entretien des écoles et le transport scolaire. Le gouvernement remet aussi en question les conventions collectives précédentes et cherche à limiter l’autonomie des enseignantes et des enseignants.

Une manifestation contre le gouvernement Harris réunit des membres de tous les syndicats enseignants à Toronto, le 26 septembre 1997.

L’affrontement avec le gouvernement est total et atteint son apogée à l’automne 1997 quand le gouvernement dépose le projet de loi 160, la Loi sur l’amélioration de la qualité de l’éducation. Cette loi démantèle la Loi 100 qui régit les relations de travail entre les conseils scolaires et les syndicats d’enseignants et définit le cadre légal des négociations collectives depuis 1975; les conditions d’enseignement et de travail des enseignantes et des enseignants relèvent dorénavant de la Loi sur les relations de travail. Le gouvernement s’attribue l’autorité de décider de la taille des classes, du temps d’enseignement et de préparation des cours, des taux de la taxe scolaire. Il permet l’embauche d’un personnel non qualifié dans certaines matières et cherche à rendre obligatoire la participation du personnel enseignant aux activités parascolaires. C’est une véritable déclaration de guerre.

L’AEFO dénonce l’abolition de la loi 100 qui régit les relations de travail en éducation depuis 1975.

Le 27 octobre 1997, 126 000 enseignantes et enseignants des écoles publiques et catholiques, de langue anglaise et de langue française, déclenchent une protestation provinciale contre les réformes Harris. Ils ont l’appui d’un grand nombre de directions et de directions adjointes. Après dix jours de l’un des plus importants arrêts de travail de l’histoire du Canada, les protestataires doivent rentrer au travail sans avoir réussi à faire fléchir un gouvernement intraitable.

C’est une période très dure pour les dirigeantes et dirigeants de l’AEFO. Bien des membres leur reprochent d’avoir abandonné la partie trop vite après leur avoir fait perdre deux semaines de salaire. Davantage en mesure d’évaluer l’inflexibilité du gouvernement, les leaders de l’AEFO jugent inutile de poursuivre la grève. La victoire réside dans le fait que l’opinion publique se range du côté des syndicats enseignants et s’inquiète des répercussions des décisions du gouvernement Harris sur la qualité de l’éducation.

Un conflit qui perdure

Pendant les années qui suivent, une véritable partie de bras de fer s’engage entre deux conceptions irréconciliables de l’éducation dans la société. D’un côté, le gouvernement conservateur qui souhaite réformer le système d’éducation, jugé dépassé, inefficace et dominé par les intérêts corporatistes des syndicats. De l’autre, les syndicats qui se considèrent comme les meilleurs représentants du personnel enseignant, des parents et des élèves pour défendre la qualité du système d’éducation face à un gouvernement idéologue qui cherche à réaliser un programme néolibéral et à se faire du capital politique sur le dos du mouvement syndical.

L’AEFO joint les rangs des autres syndicats enseignants ontariens dans la lutte contre le gouvernement Harris, notamment pour faire entendre la voix de la population franco-ontarienne et de ses écoles, dont les acquis récents paraissent menacés par les réformes brutales des conservateurs. En raison des défis à relever en milieu minoritaire et des coûts additionnels à assumer pour une clientèle scolaire peu nombreuse, éparpillée sur un vaste territoire et ayant des besoins particuliers, l’école franco-ontarienne est particulièrement vulnérable.

Les compressions budgétaires ne font que fragiliser davantage un système scolaire qui dispose de moins de ressources financières, matérielles et humaines que les écoles anglophones. Mieux pourvues, celles-ci peuvent davantage absorber le choc, offrir une gamme plus diversifiée de cours et d’activités parascolaires et se montrer plus compétitives que les écoles françaises.

D’ailleurs, l’une des revendications de l’AEFO est que le gouvernement tienne compte des défis à réaliser en milieu minoritaire dans son enveloppe budgétaire à l’intention des écoles de langue française.

L’autonomie professionnelle sous attaque

Pendant les huit années au pouvoir du gouvernement conservateur, l’AEFO mène une bataille de tous les instants. Elle met tout en œuvre pour contrecarrer les multiples réformes mal conçues que le gouvernement s’entête à imposer sans aucune consultation.

Deux mesures qui portent atteinte à l’autonomie professionnelle des enseignantes et des enseignants mobilisent de façon plus particulière l’AEFO et ses membres : la participation obligatoire aux activités parascolaires et l’imposition d’un processus de renouvellement de la certification enseignante.

Quelques jours plus tard, la présidente de l’AEFO, Lise Routhier Boudreau, renchérit. « M. Harris est tombé sur la tête » soutient-elle. Les syndicats enseignants font front commun et organisent de nouvelles manifestations.

Dans un mémoire présenté en février 2001, l’AEFO s’oppose à la participation obligatoire des enseignantes et des enseignants aux activités parascolaires et reproche au gouvernement son attitude dénigrante à l’endroit de la profession enseignante. Bien qu’adoptée, la mesure ne sera jamais mise en vigueur.

Un an plus tard, en juin 2001, l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario met en place, conformément aux directives du gouvernement, un processus de renouvellement de la certification enseignante. Pour maintenir leur carte de compétence, les enseignantes et les enseignants devront désormais compléter, tous les cinq ans, une série de 14 formations obligatoires fixées par l’Ordre.

L’AEFO s’objecte vigoureusement à ce que les enseignantes et les enseignants ne soient plus maîtres de leur perfectionnement professionnel. Elle lance un appel au boycottage du processus de certification et reçoit un appui massif des membres qu’elle consulte au moyen d’un référendum. L’objectif est de mettre du sable dans l’engrenage du processus de certification obligatoire. Peu après son élection en 2003, le gouvernement libéral de Dalton McGuinty abolit le programme de certification.

Une profession bafouée

Non content de bouleverser le système d’éducation par ses réformes, le gouvernement de Mike Harris ne rate pas une occasion de dénigrer le personnel enseignant. Nombreuses sont les déclarations de ministres et les publicités dans les journaux qui véhiculent un message voulant que les enseignantes et les enseignants soient grassement payés alors que leurs journées de travail sont courtes et leurs congés longs et nombreux.

Lorsque s’amorce la campagne électorale à l’automne 2003, la profession enseignante est profondément démoralisée. Les syndicats enseignants sont plus déterminés que jamais à empêcher la réélection des conservateurs. Le 2 octobre 2003, le Parti libéral de Dalton McGuinty entrait au pouvoir.

Au moins 51 heures par semaine
Pour contrer le message du gouvernement voulant que les enseignantes et les enseignants soient trop payés pour ne faire que quelques heures de travail par jour, l’AEFO fait réaliser, en mars 2000, une étude sur la charge de travail de ses membres. L’étude conclue que les membres de l’AEFO travaillent en moyenne un peu plus de 51 heures par semaine.