L’éveil syndical

Un contexte propice au militantisme

C’est véritablement au cours des années 1970 que le militantisme syndical de l’AEFO prend forme. Cet éveil syndical trouve sa source dans les transformations internes de la profession, l’essor du mouvement syndical à travers le pays et des conditions sociopolitiques qui favorisent les revendications et la contestation de l’ordre établi particulièrement dans les milieux de travail.

En Ontario, plusieurs facteurs convergent. Le gouvernement vient d’imposer un plafond de dépenses aux conseils scolaires, les amenant entre autres à couper des postes et à augmenter les tailles de classe. On vient aussi d’ajouter au programme d’études plusieurs matières comme l’éducation sexuelle ou l’environnement, sans offrir de formation ou d’appui au personnel enseignant. Et finalement, d’importants conflits pour l’obtention d’écoles secondaires de langue française éclatent à Sturgeon Falls (1972) et Cornwall (1973), alimentant encore davantage la volonté d’agir de l’AEFO et de ses membres.

Pour en savoir davantage sur le rôle de l’AEFO pour l’obtention des écoles secondaires de langue française, consultez la section Éducation de cette exposition.

Un point tournant

Jusqu’au milieu des années 1970, les enseignantes et les enseignants n’ont ni cadre officiel et légal pour leurs négociations collectives, ni droit de grève. Leur seul moyen d’exercer des pressions sur les conseils scolaires pour négocier leur salaire et leurs conditions de travail est de démissionner en bloc, en décembre ou en août. La tactique est risquée et les associations enseignantes n’y ont pas recours à la légère.

manifestation contre projet de loi 274En 1973, refusant toujours le droit de grève aux enseignantes et aux enseignants, le gouvernement provincial propose les projets de loi 274 et 275 qui imposent l’arbitrage obligatoire et éliminent toute possibilité d’exercer des pressions pour accélérer les négociations ou améliorer une entente collective.

La riposte ne se fait pas attendre. Le 18 décembre 1973, quelque 80 000 (sur 105 000) enseignantes et enseignants de toutes les associations confondues quittent leur salle de classe. Environ 30 000 participent à une grande manifestation publique à Toronto pour réclamer le retrait des projets de loi.

Il s’agit d’un tournant pour l’AEFO qui organise une refonte de sa constitution et de ses structures. Elle révise ses statuts portant sur les relations professionnelles et la discipline et propose la formation de deux comités, l’un sur les relations de travail et l’autre sur la formation des maîtres et les critères d’embauche.

Elle monte des ateliers régionaux et provinciaux pour préparer à la négociation les directions d’écoles ainsi que les enseignantes et les enseignants. Elle crée aussi le Bureau de consultation en négociation (BCN) qui définit les priorités en matière de revendications syndicales. Elle réoriente l’utilisation de sa caisse de réserve pour que ce fonds serve tout spécialement à appuyer les revendications salariales et à défendre les droits de ses membres.

Enfin, elle met en place les premiers mécanismes d’évaluation de la compétence de l’enseignement fondés sur des critères objectifs et élabore un code de déontologie pour les enseignantes et les enseignants.

Victoire!

En juin 1975, les associations enseignantes, dont l’AEFO, obtiennent gain de cause avec l’adoption de la Loi 100 qui vient régir les négociations entre le personnel enseignant et les conseils scolaires, et surtout confère le droit de grève aux enseignantes et aux enseignants.

Cette loi opère une transformation au sein de l’AEFO. Lors du congrès de 1978, les déléguées et délégués consacrent la nouvelle vocation de l’AEFO en redéfinissant ses buts désormais axés sur la protection et la sécurité des membres.

Lise Routhier Boudreau 1978Un exemple de solidarité syndicale

La fin du « baby-boom » d’après-guerre entraine, dans les années 1970, une importante baisse d’effectifs dans les écoles de la province. Un grand nombre d’enseignantes et d’enseignants sont mis à pied ou déclarés excédentaires.

Dans un article paru dans le magazine de la Société franco-ontarienne d’histoire et de généalogie, Le Chaînon, au printemps 2009, Lise Routhier Boudreau, présidente provinciale de l’AEFO de 1999 à 2004, raconte comment la solidarité syndicale lui a permis de conserver son emploi à l’école élémentaire Jeanne-Mance de Kapuskasing, en 1976. Elle en était alors à sa deuxième année d’enseignement.

C’est l’année suivante, en 1976, que Lise devient une véritable « accro » de son syndicat. En juin, Lise et deux collègues sont déclarées excédentaires. Tout indique qu’elles n’auront plus d’emploi en septembre. Mais c’est sans compter sur la générosité et la solidarité dont font preuve les enseignantes et les enseignants de Kapuskasing. « Le comité de négociation de l’AEFO avait convoqué une rencontre au Centre des loisirs de Kapuskasing pour parler des négociations, explique Lise. On avait alors proposé aux membres de refuser la pleine augmentation salariale proposée par l’employeur pour protéger plutôt les personnes qui avaient été déclarées excédentaires. C’est massivement qu’ils ont voté en faveur de cette proposition. »

Plus de 30 ans plus tard, Lise a encore la voix empreinte d’émotion quand elle se rappelle ce moment décisif de sa vie. « Le geste posé par mes collègues a été pour moi une sensibilisation au pouvoir collectif qu’on pouvait exercer par l’entremise d’une association comme l’AEFO. Je gardais mon emploi parce que mes collègues avaient pris ensemble une décision qui avait un impact réel et immédiat sur ma vie et celle des deux autres enseignantes qui devaient perdre leur poste. Je ne l’ai jamais oublié. »

L’année suivante, Lise devient la représentante de l’AEFO au sein de son école et participe à l’assemblée générale annuelle qui a lieu à Ottawa.

Tiré de Lise Routhier Boudreau : portrait d’une syndicaliste et d’une citoyenne engagée, par Marie-Élisabeth Brunet, Le Chaînon, Volume 27, Numéro 2, Printemps 2009, pp. 5-9.

La perte de l’innocence

extrait en bref 9 mars 1982L’obtention du droit de grève en 1975 arrive à point nommé. Dans les années qui suivent, les gouvernements fédéral et provinciaux adoptent une série de lois spéciales sur le contrôle des prix et des salaires pour résoudre la crise économique engendrée par le choc pétrolier.

Les syndicats, dans leur ensemble, se prononcent contre ces lois. Ils réclament, au contraire, des hausses salariales pour contrer la baisse du pouvoir d’achat de leurs membres en raison de l’inflation. Des grèves éclatent dans tout le pays et les gouvernements tentent d’encadrer le droit de grève particulièrement dans les secteurs publics et parapublics.

Cette période pourrait être qualifiée de « perte de l’innocence » pendant laquelle l’AEFO doit revendiquer au sein de luttes très dures qui consacrent son statut de porte-parole des enseignantes et des enseignants francophones en Ontario.