La parité salariale
Une inégalité qui vient de loin
Au moment de la création de l’AEFO en 1939, les femmes enseignantes gagnent entre 25 % et 50 % de moins que leurs homologues masculins. Cette iniquité remonte à la création du système d’éducation de l’Ontario vers 1850 et reflète l’ambivalence encore généralisée de la société à l’égard du travail rémunéré pour les femmes.
Dans la foulée de la récession qui a suivi la Première Guerre mondiale et du krach boursier de 1929, on traite de radicales et de socialistes les femmes qui osent demander de meilleurs salaires pendant que tant d’hommes sont sans emploi. Le début de la Deuxième Guerre mondiale oblige les femmes à mettre leurs revendications en veilleuse pour l’effort de guerre national.
Le récit de Thelma Bender
Dans un article paru dans la revue Le Chaînon, Volume 27, Numéro 2, Printemps 2009, Thelma Bender de Hawkesbury raconte sa carrière d’enseignante qui a débuté en 1934, dans le petit village de Chute-à-Blondeau, dans l’Est ontarien. Lorsqu’elle se marie en 1941, elle est contrainte de quitter son poste, car à l’époque, on n’embauche pas de femmes mariées.
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La place des femmes mariées
La Deuxième Guerre mondiale entraîne toutefois d’importants changements. En 1939, le marché du travail au Canada compte 639 000 femmes. En 1944, on en dénombre 1 077 000, dont un grand nombre de femmes mariées embauchées pour palier à la pénurie de main-d’œuvre due au départ des hommes pour le front.
Les enseignantes mariées sont elles aussi nombreuses à reprendre le travail. Les commissions scolaires de l’époque ne croient toutefois pas que cette situation sera permanente et les traitent différemment, tant sur le plan du salaire que des conditions de travail. On estime en effet que, vu leurs obligations familiales, les femmes mariées ne peuvent donner le même service qu’une célibataire, notamment en ce qui touche les activités parascolaires.
À la fin de la guerre en 1945, bien des femmes qui avaient dirigé des entreprises, construit des avions ou s’étaient occupé des récoltes, rentrent à la maison, de leur plein gré ou suite à des mises à pied. En enseignement toutefois, les femmes bénéficient du baby-boom d’après-guerre qui crée une pénurie de personnel. En 1951, plus du quart des enseignantes sont mariées, comparativement à seulement 5 %, 10 ans plus tôt.
En 1953, sous l’impulsion d’une de ses filiales de l’époque – la Federation of Women Teachers’ Associations of Ontario (FWTAO), aujourd’hui la Elementary Teachers’ Federation of Ontario (ETFO) – la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (FEO) prend position en faveur d’un traitement égal pour les enseignantes mariées. C’est là une position très avant-gardiste si on tient compte du fait que les femmes mariées se font interdire l’accès à la fonction publique fédérale jusqu’en 1955. L’AEFO se prononce en faveur de cette revendication.
L’équité pour les femmes mariées de l’époque
Un document trouvé dans les archives de l’AEFO, et qui n’est malheureusement pas daté, en dit long sur le débat entourant le travail des femmes mariées dans les années 1950. Cet avis, rédigé à l’intention de l’AEFO par le Père Raymond Bastien, o.m.i.*, conclut que l’AEFO peut appuyer la recommandation de la FEO en faveur d’un traitement égal pour les enseignantes mariées sans aller « à l’encontre de la morale chrétienne ».
On y fait valoir que l’embauche de femmes mariées ne constitue pas « un empêchement à la famille », dans la mesure où les commissions scolaires accordent à celles-ci un congé si elles deviennent enceintes. On évoque aussi des considérations relatives à la « pudeur des jeunes » et à la « fatigue accrue » des femmes enceintes qui pourrait empêcher un enseignement de première qualité.
*Le Père Raymond Bastien a enseigné dans des écoles d’Ottawa de 1953 à 1973, et a été président de l’AEFO en 1962-1963.
À travail égal, salaire égal
Même si le gouvernement ontarien adopte, en 1951, la première loi au pays sur la parité salariale pour les femmes, bien des inégalités subsistent. En 1957, l’AEFO lance donc une grande campagne en faveur de l’égalité des salaires des femmes et des hommes. Pendant des années, le slogan « À travail égal, salaire égal » sera le cheval de bataille de toutes les négociations.
En 1988, quand le gouvernement ontarien adopte la Loi sur l’équité salariale reconnaissant le principe du salaire égal pour un travail d’égale valeur, l’équité salariale devient de nouveau un dossier prioritaire pour l’AEFO.
À cette époque, plusieurs enseignantes de l’élémentaire sont dans des catégories salariales inférieures parce qu’elles ont commencé à enseigner à l’époque où le baccalauréat n’était pas exigé. Cette discrimination n’existe pas au secondaire.
L’AEFO s’attaque donc à faire reconnaître la « valeur égale » du travail de ce groupe de membres. Il faudra quelques années, mais l’AEFO obtient finalement les redressements souhaités. Les femmes touchées bénéficient non seulement d’une hausse de salaire appréciable, mais aussi d’une pension bonifiée.